Corona Tour en sidecar Ural (EP 2)

> source originale sur le forum Est-mortorcycles

Sibérie

Après Moscou c’est la route en direction d’Irbit en passant par Vladimir, Nijni Novgorod et Kazan

Nijni Novgorod
Vladimir

 

 

 

 

Kazan

 

 

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3 aout

Bonjour à tous, j’ai eu une très belle journée et j’ai envie de vous la faire partager. Départ de l’hôtel sans se presser, il n’y a que 200 km devant moi. Je suis persuadé à ce moment-là que ce sera une journée taguée RAS. Quelques gouttes de pluie sur la visière qui disparaissent rapidement, ciel lourd et gris. Je vois mon premier animal qui traverse la route. Un écureuil. C’est pas glorieux mais je n’avais plus rien vu depuis la Lituanie. La route est droite à travers la forêt, on a quitté le massif de l’Oural. La Sibérie est essentiellement une plaine de très basse altitude. Si la mer montait de 50 mètres, elle serait totalement noyée. Les stations services deviennent de plus en plus vintage. J’en suis à me demander qu’est-ce qui va colorer cette journée quand j’avise un char russe transformé en monument à la grande guerre patriotique. Il y a dans tous les villages de vieux armements qui ne servent plus qu’au souvenir.

Je m’arrête pour une photo et là surgit Ivan dans sa Lada qui me presse de le suivre en répétant en boucle: musée Ural, musée Ural. A partir de là tout s’accélère. Je le suis, il m’emmène chez Edouard, sa femme et leur famille qui ont transformé leur maison en musée Ural. Il y a là des modèles de toutes les époques depuis 45 jusqu’à aujourd’hui. Des modèles pour l’armée et pour la police, des uniformes et des casques. Je suis aux anges, c’est une caverne d’Ali Baba! Ils m’invitent à déjeuner. Pour les remercier je leur offre la bouteille de Bordeaux que je gardais pour l’usine. Ils sont émus et insistent pour que je reparte avec une bouteille de vodka, un badge Ural et une clef de 12 estampillée IMZ.

C’est pas fini ! Ivan m’escorte jusqu’à un musée Ural privé d’Irbit où m’attend une équipe de journalistes locaux qui me filment pendent qu’on m’organise une visite privée du Musée. Le propriétaire, Raman, insiste pour que je monte sur toutes les machines y compris un Ural de 52 militarisé, copie conforme des BMW de 1943. S’en suis une interview assez compliquée du fait de la langue. Je comprends qu’il sont des journalistes locaux qui travaille pour une chaine publiant sur Youtube. On n’en reste pas là, les journalistes m’emmène visiter un autre musée privé à coté de l’usine Ural. La propriétaire, la charmante Luba, me fait faire le tour de son musée avec force commentaires passionnés que je ne comprends pas. Mais son enthousiasme est si communicatif que je m’extasie sincèrement devant les collections de machines à coudre, de radios, d’appareils photos, de voitures et bien entendu, d’Ural. Le tout est entrecoupé de mise en scène: appartement soviétique des années 50, chambre d’hôpital, casemate d’officier, etc. Trop top! Et dire que je me préparais à m’ennuyer.

 

Voyager seul attire les autres. Dans les endroits les plus reculés il y a une vrai attraction pour le voyageur au long cours. Non qu’il est quelqu’un de spécial, mais il porte le rêve de beaucoup de déployer leurs ailes. Demain je visite l’Usine. Pour un Uraliste, c’est un peu un pèlerinage à la Mecque. C’est notre Hajj. Je vous raconterai.

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4 aout

J’y suis! Dans le ventre de la babouchka qui enfanta Passepartout, ses ascendants, ses cousins, ses frères. Je me présente à 11h comme proposée par Marina. L’entrée de l’usine se situe dans un immeuble défraîchi dont la devanture est principalement occupée par un supermarché. Seule une enseigne rouillée sur le toit, une sculpture représentant une moto et une petite porte bleue avec un logo Ural signalent discrètement l’endroit. Un agent de sécurité sort et m’explique qu’il faut rentrer par l’autre côté de l’usine. Je vais faire un long chemin pour parcourir ce qui fut jadis un site de production qui enfanta 3,2 million de sidecar avec un pic de 30,000 par an dans les années 50.

Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une friche industrielle avec ses bâtiments borgnes aux façades lépreuses, ses carcasses métalliques rouillées et ses allées envahie d’herbe folle. Mais au centre de ce décors de fin du monde, subsiste un bâtiment de taille moyenne dont l’aspect ne dépare pas avec le reste. Et dans ce bâtiment, comme un miracle, IMZ produit encore 1200 machines par an qui partent dans le monde entier. C’est le cœur encore rougeoyant d’un grand feu de la saint-jean qu’on retrouve au matin sous la cendre, prêt à repartir pourvu qu’on lui donne quelques brandes à flamber.

Marina m’escorte jusqu’à l’atelier qui sert à l’assemblage des sous-ensembles et à l’expédition. Là s’empilent les caisses des machines en partance, les roues, boîtes de vitesse, ponts, freins, etc. Dans l’allée de cet atelier les hommes de IMZ effectuent le dernier test des machines en se lançant à toute allure dans l’allée avant de freiner brutalement roues bloquées avant le mur du fond. Je visiterai aussi l’atelier de peinture mais les autre ateliers sont fermés aux visites. Avant le COVID, IMZ recevait beaucoup de visiteurs d’Europe et de Russie et puis stop! Depuis, d’après Marina, je suis leur premier visiteur depuis mars.

Nous avions aussi convenu de faire une révision complète de Passepartout. Pendant 4 heures, une petite équipe s’occupe de ma machine. Ils vont même complètement refaire le rayonnage de la roue arrière dont les rayons sonnent mal à leur goût. Un passage au banc découvre une alerte surchauffe. Dans un embouteillage mon thermomètre de culasse était monté jusqu’à 180 degré et le témoin moteur c’était allumé. Je m’étais arrêté pour laisser Passepartout refroidir. C’est donc confirmé, j’ai une référence. Je ne dois pas dépasser 175 degrés. Ils me perceront des trous supplémentaires dans le protège carter. Après ce superbe moment et l’achat de quelques pièces en spare, nous nous séparons avec de grands sourires. Marina me fournit des contacts à Vladivostok et me fait promettre de l’appeler en cas de problèmes en Sibérie. Demain je vais me reposer avant le grand bond en avant. Je vais devoir avancer. Je n’ai fait que la moitié du chemin jusqu’à Vladivostok.

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7 aout

Je suis arrivé à Omsk. Après une étape tranquille de 350 km où j’ai juste du surveiller la température de Passepartout et réduire ma vitesse de croisière en conséquence. Il fait plus de 30 degrés ici.

Cela se confirme, la Sibérie est plate et très basse. Si les champs laissent place progressivement aux prairies et aux forêts de bouleaux, les marais leur disputent de plus en plus d’espace. L’eau semble vouloir monter de partout et des bouquets de bouleaux morts signent par endroit, la défaite des terres sur l’élément liquide.

L’étape passe relativement vite en enchaînant des courts échanges dans les stations services ou au restaurant avec des curieux enthousiastes. Visiblement, les russes se demandent qu’est-ce qui a bien pu pousser un français à acheter un Ural et à entreprendre un tel voyage avec. C’est un peu comme si nous croisions en Lozère un russe venant de Moscou sur un tracteur. Il faut dire que tous les Ural que je vois passer sont des modèles hors d’age piloté par des types qui ne le sont pas moins. De plus ils ne respirent pas la réussite sociale. Ils ne me rendent d’ailleurs généralement pas mes saluts. Ils doivent se

demander ce qui justifie de telles marques de sympathie de ma part. Du coup, je vous laisse imaginer l’image d’Ural ici. Je vais aussi voir mes premiers WC collectifs! J’avais déjà vu ça en Chine mais je ne pensais pas en trouver ici. Il est vrai que nous sommes en Asie.

Arrivé à Omsk, je suis tout de suite saisi par l’harmonie qui se dégage de la ville. L’avenue Lenine offre une perspective majestueuse et tous les bâtiments semble ravalés d’hier. C’est superbe et la foule ne s’y trompe pas qui arpente le boulevard dans les deux sens en envahissant terrasse et jardins. Il fait 32 degrés et ce sont surtout des jeunes qui sont dehors. Ils sont beaux et respirent la joie des moments simples. Les types sont en short et les filles en minijupes. L’été est aussi court que les jupes ici alors c’est comme une explosion des corps pendant ce bref moment! Bistro, Winter is coming.

 

Je pose vite mes bagages et vais faire un tour. Je visite la cathédrale de la Dormition. Somptueux! C’est décidé, j’avais prévu de partir demain en direction de Novisibirsk. Je ne peux pas faire ça ! Omsk est la ville de naissance de Michel Strogoff. Ce bon vieux Jules commande à Passepartout de se reposer ici une journée. Il n’y rien à discuter. Pour rattraper le coup, je devrai battre mon record dimanche et rouler 650 km. Ça devrait le faire.

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8 aout

Pour répondre à la question de la vitesse de croisière : normalement autour de 80kmh. J’ai installé un petit capteur de température de culasse. Je sais depuis Irbit que lorsque celui-ci indique 180 degrés le témoin moteur va s’allumer (code erreur surchauffe moteur). Du coup je règle ma vitesse pour ne pas dépasser 170 degrés. Ce qui m’oblige à rouler à 70kmh sur du plat par 30 degrés de température ambiante. De même je m’arrête dans les embouteillages ou en côte quand j’atteins cette limite.

Pour le capteur voir le sujet suivant sur le forum de l’association Ural France : https://forum.ural-france.com/viewtopic.php?f=24&t=144&hilit=Trail&start=40#p11083

Mes observations sont valables pour ma machine (sportsman 2019 EFI Kehin). En fait, en surveillant mon thermomètre j’ai remarqué que la température est affectée grossièrement par 4 facteurs:

  • La température ambiante qui a un effet quasi linéaire sur la température maxi.
  • Les embouteillages (une vrai cata!)
  • Les montées
  • La vitesse de croisière sur le plat

Maintenant que j’ai une référence d’alerte, je me débrouille pour ne pas la dépasser.

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10 Aout

Encore une belle rencontre que je veux vous raconter. Je suis à présent à Novosibirsk. J’ai déjà fait 9000 km et il m’en reste encore 5500.

Novosibirsk est une ville jeune qui doit tout au train. Elle fut construite autour d’un pont de chemin de fer en 1893. Aujourd’hui c’est la 3 ème ville de Russie par la taille. D’un point de vue touristique, le principal monument est le théâtre d’opéra et de ballet de la ville qui surpasse par la taille le Bolchoï de Moscou. Je visiterai aussi la cathédrale Saint Alexandre Nevsky, quelques autres parcs et édifices plus les traditionnels statues. Les russes semblent particulièrement apprécier ces dernières et ils en peuplent généreusement places et jardins. Il paraît qu’ils appellent Batman, la grande statue de Lenine en cape, les insolents !

Je dois faire vite pour retrouver Artem qui vient me prendre à mon hôtel en début d’après-midi. Encore une belle rencontre faite hier sur un parking de station service. Artem est docteur en chimie, il travaille dans un institut de recherche sur des nouveaux médicaments. Il a 38 ans et 3 enfants. Il est est très cultivé, parle un très bon anglais et rêve de voyager. Il m’avait proposé de visiter son « village » comme il l’appelle. Il s’agit d’une cité scientifique nommée Akademgorodok. C’est une petite ville à 30 km de Novosibirsk. Sortie du néant en 1957 au milieu de la forêt pour rassembler le meilleur de la science Sibérienne, elle regroupe plusieurs dizaines d’instituts de recherche dans des domaines variés allant de la physique nucléaire aux sciences de la terre. Une université de 6000 étudiants complète la partie scientifique tandis que des logements, des restaurants, des commerces un hôpital et des cinémas permettent à plus de 60,000 personnes de vivre ici.

 

Les bâtiments sont disposés de tel sorte qu’on puisse les rallier à pied par des chemins forestiers où les écureuils sont légions.

Artem, que sa fille aînée Liena a rejoint, me fera visiter son monde dont il parle avec une fierté et une affection non feintes. Nous finirons tous les trois dans un petit resto. Quel plaisir de discuter avec eux de tout et de rien, de la Russie et des voyages. Artem me ramènera à mon hôtel, 60 km aller-retour dans les embouteillages. Le ferions nous pour un étranger rencontré au bord de la route ?

 

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14 aout

Samedi je serai à Irkousk aux portes du Baïkal. Les gens que j’ai rencontrés sur la route m’ont déjà donné d’autres contacts sur places. Je suis bien entouré par mes nouveaux amis russes!😊

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18 aout

Je suis à présent à Irkoutsk depuis hier. Laisser moi vous parler un peu d’Irkoutsk pour commencer. Je sais, il y à Wikipedia mais si vous lisez ces lignes, vous n’allez pas en plus vous taper des recherches sur le net ! Irkoutsk a été baptisée le Paris de la Sibérie. C’est une ville magnifique . Encore une que l’on doit aux cosaques. Ils installent ici un comptoir en 1652. Pas fous les cosaques, ils vont commencer à prélever des taxes sur les marchandises qui passent par là. Il faut dire que Irkoutsk est au confluant de 3 rivières dont l’Angara large et navigable (Michel Strogoff arrivera par là) et l’Irkout qui donnera son nom à la ville. Avec la découverte d’or, le lieu deviendra vite très animé et très mal famé et on commencera à y envoyer tous ce que l’empire compte de comploteurs et d’ennemis du Tsar. Une population d’intellectuels et de nobles connus sous le noms de décabristes, va y être déportés. C’est aussi ici que l’armée rouge remportera sa victoire ultime sur les blancs menés par l’amiral Koltchak qui fut exécuté et jeté dans l’Angara.

Le train a aussi beaucoup contribué à la prospérité de cette ville comme de celles que j’ai traversé en Sibérie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on y trouve toujours une statue du Tsar Alexandre III regardant vers l’est. Il en est le commanditaire. Aujourd’hui, Irkoutsk c’est 600,000 habitants, un centre inscrit au patrimoine supplémentaire de l’Unesco et un tourisme vivace du à la proximité du Baïkal.

 

 

 

 

 

 

 

Je vous avais parlé d’Artem, ce scientifique qui m’avait fait visiter Akademgorodok avec sa fille, de sa gentillesse, de sa culture et de son intelligence. Artem a contacté Andrey à Irkoutsk. Andrey est le directeur de l’institut de recherche en chimie à Irkoutsk. Il est venu me chercher ce matin à l’hôtel avec un ami bouriate, Alexander. Andrey, ma fait visiter Irkoutsk. Nous sommes dimanche et cet homme aux responsabilités que vous imaginez a laissé sa famille et son garçon de deux ans pour faire visiter cette ville qu’il aime à un français qui traverse son pays en Ural, la machine que son grand-père utilisait pour transporter des choux. Il va rester 4 heures avec moi. Il mènera cette visite comme un guide professionnel et comme je m’en étonnerai, il m’expliquera que dans sa position, il fait régulièrement faire cette visite à des chercheurs venus du monde entier pour visiter son institut. Il le fera avec une finesse, une culture et une passion exceptionnelle.

Après avoir visité monument et églises, il me mènera dans un restaurant agencé comme un appartement de l’époque soviétique où je goûterais toutes sortes de spécialités sibériennes. Il refusera que je paie en me disant »c’est les lois de l’hospitalité russe». Il ajoutera en supplément, juste pour le pilote d’Ural que je suis, une visite d’un musée de la moto soviétique qu’il n’a lui-même jamais visité. J’y découvrirai le foisonnement de marques qui ont existé à une certaine époque et dont peu ont survécu. J’y verrais aussi des intérieurs sibériens reconstitués. Nous nous quittons en début d’après-midi. Il me dit qu’il va passer le relais à un collègue à Ulan-Ude. Je suis en main. L’académie des Sciences m’aide a accomplir mon rêve.

 

J’ai du mal à exprimer ma gratitude. Je voyage seul et pourtant, je n’ai jamais senti autant d’amicale présence autour de moi. Sasha, Alexander, Ilya, Ivan, Marina, Artem, Andrey et tant d’autres sur la route. Tous ceux que je croise me prennent pour un farfelu pour avoir entrepris seul ce voyage. Ils imaginent que la solitude est une peur, un danger, un enfermement intérieur. C’est tout le contraire. On vient à moi avec bienveillance, avec curiosité, avec humanité tout le temps. Qui a peur d’un farfelu qui voyage seul, personne !

L’année dernière, j’ai voyagé en moto de Bangkok à Paris avec un groupe de 8 motos et un camion d’assistance. Nous n’avons eu que des contacts superficiels avec les gens que nous avons croisé. Je crois que même si ce n’était ni notre volonté, ni notre esprit, nous projetions une image conquérante et peut-être arrogante. Seul, cela n’existe pas. Et surtout pas avec Passepartout. Il ne reste qu’un vieux fou qui traverse le monde sur une machine improbable.  J’aime ce voyage. Il se déroule aussi dans mon âme.

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17 aout

Demain je pars pour une virée de 3 jours sur l’île d’Olkhon dans le Baïkal. Je vous raconterai.

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